Le dormeur du val, 1870

Ce poème est sans doute inspiré au jeune Rimbaud, 16 ans à l'époque, par la guerre franco-prussienne de 1870, et plus particulièrement par la bataille de Sedan scellant la défaite française le 3 septembre 1870 à moins de 20 kilomètres de Charleville, son lieu de résidence à l'époque. Cette scène, un soldat mort au milieu d'une nature omniprésente et accueillante, suscite effectivement l'indignation de Rimbaud.

Le manuscrit conservé aujourd’hui à la British Library de Londres a été offerte à Paul Demeny à l’automne 1870, pour une première publication en 1888 dans l’anthologie des poètes français. Il est aujourd’hui le second poème du cahier de Douai.

C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur Rimbaud